Prétention humaine et préhensions extrahumaines
Une conférence fictionelle de Philippine Jardin et Samah Slim
En décembre 2018, nous avons été invités à participer au festival de performances « Pot au Feu » à l’École Nationale Supérieure d’Art de Paris-Cergy.
Fasciné.e.s par la lecture de Mondes animaux et monde humain de Jacob von Uexküll, nous expérimentions à ce moment-là une autre perception de notre environnement quotidien.
Professionnellement, Philippine rédigeait des « blurbs » pour une plateforme de streaming musical. Ces courtes descriptions de 65 signes maximum devaient être à la fois informatives, efficaces, sourcées et en même temps littéraires, rythmées et engageantes, ce qui nous évoquait un type de communication « cryptée ».
C’est à partir de ce constat, et en parallèle d’un article du Huffington Post à propos de la découverte de la comète Oumuamua, que nous avons construit notre proposition de performance. Deux chercheurs, à partir de quelques données, ont suggéré que la comète était une sonde envoyée par des extraterrestres. Pour discréditer cette hypothèse, d’autres scientifiques avançaient l’argument suivant, repris par le journal : « aucun signal artificiel n’a été trouvé venant du corps ».
Empreints de la lecture de Mondes animaux et monde humain, cette affirmation nous sembla très réductrice. En effet, dans son essai, Jacob von Uexküll explique que nous avons, en tant qu’êtres humains, l’habitude de rapporter tous les mondes animaux à notre propre sphère anthropocentrée. Pourtant, il démontre que chaque espèce définit son monde par les limites de ses perceptions - comme par exemple l’horizon qui définit les frontières abstraites de la vue chez l’humain – pour aboutir à plusieurs sphères qui se croisent.
Ainsi, l’expression « aucun signal artificiel n’a été trouvé venant du corps » sous-entend que nous nous considérons comme des êtres doués d’une perception totale, illimitée. Une manière de regarder et d’analyser la nature, l’univers et le réel sans remettre en question notre place au sein de ceux-ci.
Notre projet est une tentative de questionner les limites de la compréhension et de l’interprétation des signes ordinaires : couleurs, goûts, mots, bruits, etc. pour fantasmer des réalités souterraines. Cette quête, à la lisière de l’ésotérisme se nourrit de la narration d’expériences réelles et d’éléments de fiction. Elle aboutit à la démonstration d’un simulacre de machine dont le fonctionnement repose sur la fétichisation de l’IA et des outils digitaux.